Trail de Bourbon 2018 : suite de mon récit…

 

Retour à la première partie...

Le début d'une autre course

Je dois à tout pris relancer la machine... au niveau digestif. Heureusement, je me connais bien et sais comment réagir dans ces conditions. Pour que je puisse de nouveau m'hydrater, il va me falloir de la patience, et probablement attendre de rejoindre le prochain point à Marla ! Pour survivre jusque là, je n'ai pas d'autres solutions que de temporiser, de poursuivre ma route en marchant, ne trottinant que de manière très ponctuelle sur les portions les plus faciles (pas très nombreuses !)

Mes rêves de résultats s'envolent en même temps que le temps s'écoule. A ce moment précis, j'envisage sérieusement de mettre fin au calvaire, tout en réfléchissant aux suites à donner.

Je suis pris entre 2 voix... celle de la raison et du coach que je suis, qui me dit que la course est terminée, que je n'atteindrai pas les objectifs et qu'il serait plus sage de renoncer, pour préserver la bête, ne pas l'abîmer et faire en sorte qu'elle soit opérationnelle pour ses prochains défis. Et puis il y a l'autre voix, celle qui me dit de poursuivre, de ne pas renoncer, d'aller jusqu'au bout envers et contre tout, même si le classement n'y sera pas, mais au moins j'aurai la satisfaction d'avoir bouclé ce défi hors normes.

Nouveau départ...

Le soleil se lève progressivement et j'ai le temps d'admirer le paysage, somptueux, dans lequel je me trouve, coincé entre les montagnes abruptes, je remonte doucement vers le petit village de Marla... magnifique perspective qui me fait oublier la course et ses difficultés pour profiter de ce décors de carte postale

Arrivé à Marla, l'impératif est de remettre la bête en état de marche ! C'est avec une grande joie que trouve au ravitaillement... une bouteille de lait !

Dans cet état de déshydratation, je n'arrive à boire que du lait et du thé, tout autre breuvage m'est totalement impossible à ingurgiter !

Je prends le temps de boire 3 grands verres de lait, de faire le plein de lait et de thé puis de repartir en trottinant tranquillement vers le point suivant.

Petit à petit je reprends un peu du poil de la bête et rejoins un petit groupe de coureurs que je vais accompagner sur quelques kilomètres.

Cette portion du parcours ne présente pas de réelles difficultés ce qui me permet de reprendre un rythme plus raisonnable et ce même si je dois laisser filer encore quelques places.

Premier baroud d'honneur

Au ravitaillement de Roche Plate, je refais le plein... de lait et de thé, qui désormais constituerons quasiment ma seule alimentation pour la suite de mon périple ! Puis je pars à l'assaut du Maïdo.

C'est à partir de là que nous rejoignons les coureurs du Grand Raid... je me sentirais un peu moins seul sur les chemins.

Je démarre cette longue ascension en douceur, puis au fil du temps accélère. Je me sens de mieux en mieux lorsque nous abordons la partie chronométrée de cette montée.

Me sentant bien dans mes baskets, j'accélère encore, remonte de nombreux coureurs, c'est un peu comme si je me sentais pousser des ailes ! Je sais que ce n'est pas très raisonnable de se donner ainsi dans la montée, mais n'ayant plus aucune ambition du côté du classement, j'ai à coeur de me faire plaisir et de réaliser un bon chrono sur cette montée, au moins ça sauvera les meubles !

Même si je finis par payer mes efforts et caler un peu en haut de la côte, c'est pas moins de 19 places récupérées et un 63ème chrono réalisé sur cette montée !

J'arrive au ravitaillement du Maïdo en 88ème position, je me dis alors que je peux au moins tenter de rester dans le top 100 pour la fin de la course.

J'ai déjà pratiquement 3 heures de retard sur mon plan initial... et il reste encore 50 kilomètres à parcourir... qui eux aussi risquent d'être un peu long. Si je continue sur ces bases, je peux espérer rentrer en un peu moins de 24h... ce qui ne serait déjà pas si mal !

Second baroud d'honneur

A la sortie du ravitaillement nous entamons une longue descente qui débute par un magnifique chemin sur les crêtes, avec vue plongeante et impressionnante sur Mafate.

Si cette première partie de descente offre une vue splendide elle n'en reste pas moins un peu cassante, avec quelques passages un peu délicats.

Mais surtout je paie les efforts consentis sur le Maïdo et j'ai beaucoup de mal à relancer, perdant de nouveau quelques places.

Puis nous abordons une partie nettement plus roulante, sur un large chemin en terre. Je me prends alors au jeu et me mets à dévaler cette pente à tombeaux ouverts, dépassant allègrement les 15 km/h pendant environ 4 kilomètres.

Même si ce n'est pas bien raisonnable, j'ai décidé de me faire plaisir et de m'amuser un peu. Je rattrape beaucoup de coureurs, des locaux pour la plupart, qui s'ils sont très à l'aise dans les parties techniques, le sont beaucoup moins lorsqu'il s'agit de courir vite !

C'est un pur moment de bonheur, arrosé par une légère pluie fine qui s'est invitée à la partie et contribue à me rafraîchir un peu.

La voix de la sagesse

A sans-souci, je me jette sur les YOP bien frais qui sont proposés au ravitaillement ! j'en avale 3 ou 4, cela sera ma seule alimentation en complément du lait !

Puis je repars tranquillement en trottinant. Nous abordons alors un petit bout de descente un peu délicat mais qui ne dure pas longtemps avant de nous trouver dans le lit de la rivière des galets.

Il est un peu plus de midi et la pluie a cédé sa place au soleil, désormais il fait chaud (environ 28°). Cette température certes raisonnable pour les locaux est bien difficile à supporter pour moi.

Ayant déjà subit les premiers signes d'une déshydratation quelques heures auparavant, je me vois dans l'obligation de prendre une décision :

  • Continuer à essayer de tout donner, dans l'espoir futil de viser un top 50 final ? Et prendre le risque de me faire mal et de mettre plusieurs mois à m'en remettre
  • Stopper mon effort et m'imposer de terminer en roue libre jusqu'à l'arrivée et me préserver en vue de mes futurs objectifs

Il ne me faudra pas bien longtemps pour trancher. J'avais déjà failli mettre le clignotant à la plaine des Merles. Même si j'ai retrouvé un certain équilibre hydrique, pas question de replonger ni de me mettre en danger.

Et si à ce stade l'abandon n'est plus du tout d'actualité, je passe un pacte avec moi-même : je m'autorise à poursuivre l'aventure à la seule condition de me préserver, de ne plus courir et de terminer tranquillement en marchant.

Il reste environ 40 km... que je vais mettre un sacré bout de temps à parcourir, mais peu importe, j'ai à coeur de poursuivre envers et contre tout, et de venir à bout de ce périple quel que soit le temps que cela puisse prendre !

Le temps s'est arrêté, je ne compte plus en kilomètres, mais en heures entre chaque ravitaillements.

Une nouvelle aventure...

De statut de compétiteur que j'ai l'habitude d'arborer j'endosse désormais celui de 'Finisher' dont le seul et unique objectif est d'atteindre l'arrivée !

J'ai alors tout loisir d'admirer le paysage. Plus à mon aise dans les côtes je parviens à maintenir un rythme honorable dans les montées, alors qu'en descente cela va de mal en pis.

Serrer les dents et avancer

La descente du Chemin Ratineaud est particulièrement délicate et humide, je dois m'accrocher aux branches, aux roches et aux quelques cordes mises en place par l'organisation.... je suis scotché sur place, et me fais dépasser par de nombreux coureurs, y compris des gars du Grand Raid, qui ont l'air bien plus agiles que moi sur ces terrains si difficiles.

Cela est d'autant plus compliqué qu'à force de sauter de rocher en rocher mes plantes de pieds montrent des signes de faiblesse. Chaque pas commence à devenir souffrance, rendant ma progression encore plus compliquée lorsqu'il s'agit de sauter de roche en roche.

Un petit moment de répit juste avant le ravitaillement me permet de trottiner un peu, mais la suite est encore plus joyeuse avec un chemin très compliqué et glissant. Là encore je m'accroche à tout ce que je peux. Tellement lent que je dois régulièrement me mettre sur le côté pour laisser passer des coureurs, mais peu importe, l'essentiel est d'en sortir... sans bobos !

Le chemin des Anglais

Après quelques détours nous arrivons à la Possession, qui marquera le début du fameux chemin des Anglais.

Mes pieds me font de plus souffrir, chaque pas devient une véritable torture et les pierres abrasives et irrégulières de ce chemin des Anglais accentuent mes souffrances.

Si les montées se passent sans réellement d'encombre les descentes s'avèrent encore délicates, d'autant que le soleil se couche et qu'il est temps maintenant de rallumer la frontale... et moi qui pensais en terminer bien avant la nuit ! Je vais devoir m'embarquer dans une longue soirée et entamer ma seconde nuit dehors !

Une grande première

Moi qui jusque là n'avait jamais couru plus de 12h30, me voilà sur le point de dépasser les 24h non-stop ! Car c'est maintenant certain, je ne verrais pas la Redoute en moins de 24h !

A Grande Chaloupe, dernier point où je verrais Péline j'en suis à un peu plus de 22h d'effort ! Mais je suis sur le point de franchir la barre des 100 bornes et ceci pour la première fois !

C'est donc avec un petit brin d'émotion que je me lance sur cette dernière partie de course, certes j'en ai encore pour environ 4 heures de souffrance, mais peu importe... désormais je peux le dire.. je suis cent-bornard !!

J'en oublierai presque la fatigue et mes pieds qui me font souffrir, mais cela n'a plus d'importance, le chemin qui mène vers Colorado est plutôt facile et roulant, bien que principalement en montée.

Sur cette portion je parviens à maintenir un bon rythme, et j'arrive au dernier ravitaillement en un peu moins de 25h !

La cerise sur le gâteau

A moins de 5 km de l'arrivée, je me dis que le plus dur est fait, d'autant plus que le premier km de cette descente finale est des plus roulants, au point que je me remet à trottiner !

Ma joie n'aura été que de courte durée, car très vite le profil devient beaucoup plus difficile. Est-ce la fatigue, mes douleurs aux pieds, toujours est-il que cette descente tourne au cauchemar !

Les champs de rocailles se succèdent, de plus en plus techniques, abruptes et difficiles à franchir, au point que je dois m'accrocher à tout ce que je peux pour essayer de progresser. Je suis quasiment à l'arrêt, impossible de progresser normalement, de nombreux coureurs, y compris du Grand Raid, me déposent sur place !

Cette descente n'en finit pas ! Je vois bien les lumières de la ville et du stade en bas, mais j'ai l'impression que je n'avance pas. A chaque mètre descendu suit une remontée, d'au moins autant !

Il me faudra quasiment 1h30 pour parcourir ces 5 malheureux kilomètres ! Bref un calvaire !

La libération !!

C'est donc finalement au bout de pratiquement 26h30 d'effort et de souffrance que je parviendrai, enfin, à rejoindre Péline à l'entrée du stade, et d'avoir la satisfaction de franchir avec elle cette ligne d'arrivée qui se sera grandement fait désirer !

Epilogue

J'y suis parvenu !! et c'est bien là l'essentiel. Alors certes, je ne suis pas là où j'aurai aimé être, et termine, anonyme parmi les anonymes, mais quel bonheur de réaliser cet exploit, alors même que la plupart des indicateurs n'étaient pas au vert, et ceci bien avant le départ !

Je suis finisher de ce trail de Bourbon, cent-bornard, et j'ai couru (enfin me suis déplacé) pendant plus de 24h !

Et après ?

Très franchement, ce parcours n'est absolument pas pour moi, jamais je n'ai eu à parcourir des chemins aussi techniques et compliqués que ceux-là ! Je le sais je n'ai pas les qualités requises pour être performant sur ce type d'épreuve !

Alors forcément, la question qui se pose est la suivante : y reviendrais-je ? Ma réponse aujourd'hui serait bien évidemment NON !! mais qui sait de quoi l'avenir sera fait ?


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2 réflexions au sujet de « Trail de Bourbon 2018 : suite de mon récit… »

  1. Article fort bien écrit, sincère et lucide. Bravo Michel pour avoir ainsi fait preuve de sagesse, d’humilité et de respect envers les Réunionnais et La Réunion pour terminer cette épreuve hors normes, malgré les déceptions et la douleur. Amitiés. Benoit

    1. Merci Benoît pour ton message, ainsi que pour tous les conseils que tu as pu me donner avant la course. Ce fut une expérience incroyable, bien au delà de ce que j’ai pu faire jusque là. On entre ici dans une toute autre dimension, et quoi que l’on puisse faire, on ne peut pas s’en faire réellement une idée tant qu’on ne l’a pas vécu.
      Quant à la question de remettre, un jour le couvert, c’est une autre histoire !!

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